Carottes sédimentaires marines

Qu'est-ce qu'une carotte sédimentaire ? Et les sédiments ?
Les sédiments, ce sont toutes les petites particules qui s’accumulent au fond des océans, des lacs, des rivières… un peu comme la poussière qui tombe lentement sur le sol d’une maison, mais à l’échelle géologique.
Ces particules peuvent venir de plusieurs sources :
- des morceaux de roches érodées,
- des coquilles d’organismes marins,
- des poussières transportées par le vent,
- des fragments volcaniques,
- ou même des restes biologiques en décomposition (donnant ce qu'on appelle la Matière Organique).
Avec le temps, elles se déposent couche après couche, formant un véritable livre du passé. Chaque couche raconte une histoire : un climat plus chaud ou plus froid, une période riche en vie marine, un épisode volcanique… tout s’enregistre silencieusement.
Une carotte sédimentaire, c’est justement une manière d’aller lire ce livre. Les chercheurs utilisent un long tube métallique (avec à l'intérieur une gaine en PVC très similaire aux tuyaux d'évacuation des toilettes) qu’ils enfoncent dans le fond marin (ou lacustre) pour prélever une colonne de sédiments. Quand le tube est remonté à la surface, il contient les couches empilées les unes sur les autres, comme un mille-feuille temporel.
En étudiant ces couches — leur couleur, leur composition, les microfossiles qu’elles renferment, les isotopes qu’on y mesure — il est parfois possible de remontersur des centaines de milliers, voire qeulques millions d’années d’histoire de la Terre.
Mais avant de parler de carotte sédimentaire, il faut commencer par définir ce qu'est le "sédiment". Alors si vous ne savez pas encore répondre à cette question, rendez-vous au chapitre correspondant !
En résumé :
⇒ Les sédiments sont la mémoire naturelle des environnements passés.
⇒ Les carottes sédimentaires sont l’outil qui nous permet d’aller lire cette mémoire, millimètre par millimètre.
Comment prélève-t-on une carotte sédimentaire marine ?
Il existe plusieurs méthodes de prélèvement :
- Les carottiers manuels,
- Les carottiers à gravité,
- Les carottiers à piston,
- Les forages.
Bien que le carottier à gravité soit plus ancien, dans un premier temps, nous allons parler du carottier le plus récent, le plus efficace et capable de récupérer les carottes sédimentaires les plus longues et les moins déformées : le carottier à piston.
La flotte océanographique française est équipée du modèle de carottier à piston Calypso, aussi appelé "carottier gravitaire à piston stationnaire".
Bourillet et al. (2007) ont fait une campagne de tests afin d'obtenir les meilleurs réglages possibles pour les prélèvements de carottes avec le Calypso. La figure ci-dessous, issue de leur article, présente un schéma de ce carottier exceptionnel :
Qui prélève les carottes sédimentaires marines ?
De nombreux organismes de recherche, en France et dans le monde, se consacrent à l’étude des fonds marins et au prélèvement de carottes sédimentaires.
Chacun joue un rôle complémentaire : certains disposent de navires capables de forer en grande profondeur, d’autres développent les laboratoires d’analyse, d’autres encore coordonnent de vastes programmes internationaux.
Les grandes infrastructures internationales
IODP – International Ocean Discovery Program
Le programme mondial de référence pour le forage océanique profond. En utilisant des navires forages comme le JOIDES Resolution ou le Chikyu, l’IODP peut extraire des carottes longues de plusieurs centaines de mètres, permettant d’explorer des millions d’années d’histoire de la Terre.
IMAGES (International Marine Past Global Change Study)
Un ancien programme majeur spécialisé dans les carottes longues prélevées avec le carottier géant CALYPSO, notamment en collaboration avec la France.
Les acteurs français
Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer)
L’acteur clé du prélèvement de carottes en France. Il dispose de navires océanographiques (comme Pourquoi Pas ? ou L’Atalante) et d’une large gamme de carottiers (multicarottier, carottier à piston, carottier géant CALYPSO). Ifremer analyse également les carottes dans ses laboratoires spécialisés.
CNRS
Via plusieurs laboratoires mixtes (LOCEAN, CEREGE, EPOC, LGL–TPE, IPGP, etc.), le CNRS contribue à l’analyse des carottes : micropaléontologie, géochimie isotopique, paléomagnétisme, sédimentologie…
Universités françaises
Sorbonne Université, Université de Brest (UBO–IUEM), Université de Bordeaux, Université de Grenoble, Université de La Rochelle, etc., participent activement aux campagnes et aux analyses.
BRGM
Il intervient plus ponctuellement, notamment dans l’étude des environnements côtiers, des sédiments récents et des archives géologiques.
Les organismes européens
GEOMAR (Allemagne)
Un des leaders mondiaux en océanographie. GEOMAR réalise régulièrement des carottages en haute mer et dispose d’équipes spécialisées dans la géochimie et la paléocéanographie.
British Antarctic Survey (R.-U.) & NOC (National Oceanography Centre)
Actifs en Atlantique Nord, en Arctique et dans les régions polaires.
NIOZ (Pays-Bas)
Très impliqué dans les sédiments marins peu profonds et les environnements côtiers.
Royal Belgian Institute of Natural Sciences (RBINS)
Spécialisé dans la Manche et la mer du Nord.
D’autres instituts internationaux majeurs
WHOI (Woods Hole Oceanographic Institution, USA)
Un acteur incontournable de la recherche océanographique, très actif dans le carottage et l’analyse de sédiments.
Scripps Institution of Oceanography (USA)
Pionnière dans l’étude des paléoclimats et des archives marines.
Lamont-Doherty Earth Observatory (USA)
Célèbre pour ses contributions en géophysique et en sédimentologie marine.
NIWA (Nouvelle-Zélande), CSIRO (Australie), JAMSTEC (Japon)
Équipes très actives dans le Pacifique, souvent partenaires de campagnes internationales.
En résumé
Le prélèvement des carottes sédimentaires repose sur les navires et les carottiers d’organismes comme Ifremer, GEOMAR, IODP ou WHOI.
Leur analyse est assurée par un réseau très large de laboratoires universitaires et d’institutions nationales et internationales spécialisés en micropaléontologie, géochimie, paléomagnétisme, sédimentologie ou imagerie.
Que peut-on analyser dans une carotte sédimentaire ?
Une carotte sédimentaire, c’est un peu comme un laboratoire naturel : chaque centimètre peut révéler un aspect différent du passé. Selon ce que les chercheurs veulent comprendre — climat, environnement, dynamique océanique, activité volcanique, cycles carbone… — ils choisissent des analyses spécifiques.
1. Datation : savoir quel âge a chaque couche
Objectif : construire une échelle de temps.
Analyses typiques :
- Radiocarbone (¹?C) : dates des 50 000 dernières années.
- Isotopes cosmogéniques (¹?Be, ²?Al) : formation et transport des particules.
- Tephrochronologie : identification de cendres volcaniques caractéristiques.
- Magnétostratigraphie : variations de l’orientation du champ magnétique terrestre.
- Biostratigraphie : apparition/disparition de certains microfossiles.
2. Micropaléontologie : reconstruire les environnements passés
Objectif : déterminer température, salinité, productivité, glaces, circulation océanique.
Analyses typiques :
- Étude des foraminifères, diatomées, radiolaires, coccolithophores…
- Identification des espèces caractéristiques d’eaux chaudes ou froides.
- Reconstruction des variations de la glace de mer via les diatomées ou IP25.
3. Géochimie des carbonates : comprendre le climat et l’océan
Objectif : reconstituer les variations climatiques globales.
Analyses typiques :
- Isotopes de l’oxygène (δ¹?O) : températures de l’eau et volumes glaciaires.
- Isotopes du carbone (δ¹³C) : circulation océanique profonde, cycle du carbone.
- Éléments traces (Mg/Ca, Sr/Ca) : paléothermométrie des eaux de surface ou profondes.
4. Géochimie organique : biosphère, carbone, environnement
Objectif : suivre la productivité, les apports continentaux, les variations écologiques.
Analyses typiques :
- TOC/TN : teneur en carbone et azote organiques.
- Biomarqueurs (alcanes, stérols, lipides) : sources d’origine végétale, algale ou bactérienne.
- Marqueurs spécifiques : IP25 (glace de mer), TEX86 (température de surface).
5. Paléomagnétisme : orientation et intensité du champ magnétique
Objectif : établir des repères temporels et comprendre les processus géophysiques.
Analyses typiques :
- Mesure de l’orientation magnétique des grains de fer.
- Identification d’inversions ou de excursions du champ géomagnétique.
6. Sédimentologie : dynamique de dépôt et provenance
Objectif : identifier les processus qui ont affecté le fond marin (glissements, tempêtes, crues, courants).
Analyses typiques :
- Granulométrie : taille des particules (argiles, sables…).
- Lithologie : nature des sédiments (calcaires, siliceux, volcaniques).
- X-ray (imagerie RX, CT-scan) : structures internes, turbidites, bioturbation.
- Diffraction des rayons X (XRD) : minéraux présents.
7. Provenance des sédiments : d’où viennent-ils ?
Objectif : comprendre les apports continentaux, éoliens ou volcaniques.
Analyses typiques :
- Isotopes du Nd, Sr, Pb : signature géologique des continents sources.
- Analyse des grains lourds : minéraux indicateurs.
- Géochimie élémentaire (XRF) : composition chimique rapide et non destructive.
8. Volcanisme, incendies, perturbations
Objectif : retracer les événements rapides.
Analyses typiques :
- Tephras : composition des cendres volcaniques.
- Charbons fossiles (black carbon) : incendies continentaux.
- Couches de tsunami : dépôts sableux soudains, microfossiles remobilisés.
En résumé
Une carotte sédimentaire peut être analysée sous toutes ses dimensions : chimique, physique, biologique, magnétique… Chaque type de mesure répond à une question précise :
→ Quel âge ?
→ Quel climat ?
→ Quelle circulation océanique ?
→ Quels apports ?
→ Quels événements ?
Terres Du Passé
L'histoire de notre Terre et de nos Océans

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