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Expédition Franklin, 1845 - Sir John Franklin, le HMS Erebus et le HMS Terror - Histoire d'un désastre

En 1845, il y a 177 ans, Sir John Franklin, un explorateur britannique, partit avec deux navires, le HMS Erebus et le HMS Terror, en quête du passage du Nord-Ouest à travers l'océan glacial Arctique. Cette mission, supposée durer deux ans, ne revint jamais. Elle fut la plus grande catastrophe humaine de la conquête de l'Arctique.

Géosciences 01 nov. 2022

À la moitié du XIXe siècle, Sir John Franklin était nationalement connu en Angleterre en raison de sa grande expertise arctique : pionnier du monde polaire, il avait à son actif plusieurs années d'explorations et de découvertes de cette Terra Incognita. Pourtant, lorsqu'il organisa et prépara l'expédition de 1845 afin de trouver le passage du Nord-Ouest à travers l'Arctique, emmenant avec lui deux navires, le HMS Erebus et le HMS Terror, ainsi que 134 hommes, son nom avait perdu de sa prestance. (N.B. : HMS signifie "His/Her Majesty's Ship", ce qui signifie "le Navire de Sa Majesté")

Lorsqu'il tenta cette aventure, le détroit de Fram, étroit couloir de communication entre l'océan glacial Arctique et l'océan Atlantique Nord, et le détroit de Béring, faisant la connexion entre l'océan Pacifique Nord et l'océan Arctique, étaient déjà connus. Les explorateurs de l'époque savaient donc qu'il existait une "entrée" et une "sortie" à l'Arctique. Mais la route entre ces deux détroits restait introuvable.

Sir John Franklin - source wikipedia commons

Sir John Franklin, Capitaine de vaisseau de la Marine Royale anglaise, 1786-1847 (source : Wikipedia commons)

Les enjeux économiques et politiques étaient considérables, et la renommée, pour le Capitaine qui réussirait à ouvrir cette route, serait sans limite.

Sir John Franklin, la naissance d'un explorateur

John Franklin entre au service de la marine royale d'Angleterre en 1800, à l'âge de 14 ans. Suivant son oncle à travers le monde, il développe rapidement des compétences en arpentage, discipline de cartographie permettant de tracer des cartes précises, détaillées et de mesurer des angles et des altitudes. Il développe également une certaine passion pour les sciences naturelles qui le poussent à observer et à étudier les environnements qu'il traverse au cours de ses voyages.

Au début du XIXe siècle, l'Angleterre est en guerre avec l'empire napléonien puis avec les indépendantistes d'Amérique du Nord et du Canada. Franklin participe à plusieurs batailles en 1801 (Copenhague), 1805 (Trafalgar) et 1814 (Nouvelle-Orléans). Une fois la paix signée, l'Amirauté peut reprendre ses explorations et la conquête du passage du Nord-Ouest devient un objectif majeur.

Ainsi, l'expérience du monde polaire de Franklin débute en 1818. Il est alors âgé de 32 ans et est mis aux commandes du navire le Trent pour une expédition menée par David Buchan, un officier écossais de la Marine Royale. Ils tentent un voyage vers le Pôle Nord mais sont mis en échec par la glace de mer, trop épaisse et infranchissable, au niveau de l'archipel du Spitzberg.

Le Trent, navire d'exploration polaire 1818 - James Whittle and Richard Holmes Laurie

Potrait du Trent pour l'expédition polaire de 1818 par James Whittle et Richard Holmes Laurie (source : Wikipedia commons).

Pour autant, ce premier échec ne décourage pas Franklin. Le domaine polaire est difficile à affronter mais il le fascine. Le talent d'arpentage de Franklin lui ouvre les portes d'une expédition de cartographie dans l'archipel canadien en 1819 : l'expédition Coppermine. Son équipe et lui parcourent à pieds et en canoës la rivière Coppermine jusqu'à atteindre la mer, en juillet 1821. L'expédition se révèle difficile et périlleuse. Dix hommes meurent de faim et de froid alors que les survivants se trouvent dans un état de malnutrition avancé. Franklin n'est pas épargné par la famine et c'est au cours de cette mission qu'il finit par manger ses bottes. La mission n'est pas une grande réussite, de nombreuses pertes humaines étant à déplorer et les difficultés rencontrées ayant manqué d'anéantir tout l'équipage.

Mais ils rapportent tout de même la première carte détaillée d'une partie du rivage arctique.

Carte de l'expédition Coppermine, 1819-1821

Carte du trajet suivi lors de l'expédition Coppermine par John Franklin et ses équipes, 1819-1821 (par John Murray, 1823 ; source : Arctic Archipelago)

Camp de repos durant le mission Coppermine - wikipedian commons

Camp de repos durant le premier hiver de la mission Coppermine, 1819-1820 (source : Wikipedian Commons).

Canots de Franklin dans la tempête durant la mission Coppermine 1819-1821

Les canoës de John Franklin pris dans la tempête dans le golfe de Coronation en 1821 durant l'expédition Coppermine. Réalisé en 1823 d'après la description des hommes à bord (source : Wikipedia commons). Un texte accompagnait le dessin :
"La privation de nourriture, sous laquelle les voyageurs étaient contraints, absorbait toute autre terreur; autrement, la persuasion la plus puissante n'aurait pu les pousser à entreprendre une telle traversée. Ce fut avec la plus extrême difficulté que les canoës furent empêchés de se retourner sur leur flanc dans les vagues,  et ce, bien que nous barrâmes parfois avec toutes les pagaies. Un des canoës échappa de peu à cet accident, qui se produisit au milieu du chenal, où les vagues étaient si hautes que les mâts de nos canoës s'en retrouvaient souvent cachés de l'autre, et nous naviguions sous la grêle. La planche ci-jointe, d'après le croquis de M. Back, donnera au lecteur une idée précise du péril de notre situation."

En 1823, John Franklin épouse Eleanor Anne Porden et ils ont une fille en 1824. Bien qu'atteinte de la tuberculose, Eleanor pousse son époux à partir pour une nouvelle expédition Arctique en 1825. Sa femme succombe à la turberculose peu de temps après le départ de Franklin pour l'Arctique. Le jeune explorateur l'ignore encore et conduit ses navires jusqu'au delta du fleuve Mackenzie. Là, il sépare son groupe en deux : le premier part explorer la côte jusqu'à la rivière Coppermine, le second, dont il fait partie, part vers l'ouest, vers l'Alaska. La mission dure jusqu'en 1827 et est un succès sans faille avec plus de 1 000 km de rivages cartographiés entre la rivière Coppermine et la baie de Prudhoe, en Alaska.
C'est en héros que John Franklin revient en Angleterre. Il est alors promu Capitaine dans la marine, est élu membre de la Société royale, et est nommé chevalier.

La perte d'Eleanor assombrit son retour mais il rencontre Jane Griffin en 1827 et l'épouse en 1828. Cette femme est jeune, dynamique, intelligente, curieuse et aventureuse. Elle soutient Franklin dans tout ce qu'il entreprend et lui apporte une aide précieuse.

Jane Griffin, Lady Jane Franklin, 1814

Jane Griffin, devenue Lady Franklin en 1828, seconde épouse de John Franklin (dessin à la craie par A. Romilly et J.M. Negelen, Jane Griffin à 24 ans, 1816)(source : Wikipedia commons).

Mais la gloire ne dure qu'un temps et, au début des années 1830, l'Amirauté se détourne du passage du Nord-Ouest : les expéditions polaires sont trop coûteuses, trop périlleuses et rapportent trop peu de bénéfices. Sir John Franlin devient alors lieutenant-gouverneur de la Terre de Van Diemens en Tasmanie de 1836 à 1843, une colonnie pénitenciaire britannique.

Terre de Van Diemens, Tasmanie, 1811

Carte situant la Terre de Van Diemens, en Tasmanie, au sud de l'Australie, 1811 (source : Wikipedia commons).

En Tasmanie, Lady Franklin explore l'île de part en part durant une année complète et s'investit avec énergie dans la politique agricole du fleuve Huon. Elle fonde dans la colonie un jardin botanique, un musée, et en 1843, elle s'efforce d'améliorer le statut des femmes prisonnières. Pour cela, elle fonde une école de réinsertion. Tout comme elle se montre un soutien indeffectible pour John, Franklin la soutien dans toutes ses actions.

Le passage du Nord-Ouest : du rêve aux ténèbres arctiques

En 1843, son mandat n'étant pas reconduit, Franklin rentre en Angleterre. Heureuse coïncidence, au même moment, la marine royale connaît un regain d'intérêt pour le monde polaire : l'Amirauté souhaite finir l'arpentage des 500 km de rivages arctiques canadiens non encore cartographiés. De plus, à cette époque, les explorateurs pensent qu'il existe, au niveau du Pôle Nord, une zone de mer ouverte que la Marine Royale ambitionne de découvrir avant les pays voisins.

Sir John Franklin a alors 57 ans et n'est plus un jeune explorateur prometteur. Son expérience pourrait lui valoir des prérogatives aventageuses mais les réformes sociales et politiques que Lady Franklin et lui ont tenté de mettre en place en Tasmanie lui ont fait perdre une partie de sa prestance. Franklin se bat avec vigueur et recueille le soutien de ses amis explorateurs pour obtenir le mandat qui lui permettra de mener cette expédition, la dernière de sa carrière. En mai 1845, l'Expédition Franklin prend la mer en direction de l'Arctique. Sir John Franklin est alors âgé de 59 ans.

L'expédition la plus avancée technologiquement de toute l'histoire des expéditions arctiques de l'époque

Les navires HMS Erebus et HMS Terror sont préparés pour cette expédition exceptionnelle, deux briscards des expéditions polaires ayant démontré leur résistance face au pack (de la glace de mer dérivant, non raccrochée à une côte, ce type de glace de mer oppose une forte résistance aux coques des navires et rend la navigation difficile voire périlleuse).

HMS Erebus et HMS Terror, John Franklin Expedition, 18**

HMS Erebus et HMS Terror, présentés dans l'Illustrated London News du 24 mai 1845.

Les deux navires sont équipés de moteurs à vapeur, ce qui leur permet d'atteindre une vitesse de 4 noeuds (soit 7,4 km/h) sans l'aide du vent. Des plaques de métal viennent renforcer leurs coques, ainsi que des poutres lourdes, leur donnant davantage de robustesse. Un dispositif interne de chauffage à vapeur est ajouté pour le confort de l'équipage et, plus important, des gouvernes de direction à hélices métalliques pouvant être protégées des dommages de la glace sont installées. En plus de cela, plus de 1 000 livres et trois années de vivres sont entreposés dans les cales des navires.

Apparemment, tout est prévu pour réaliser cette mission dans les meilleures conditions possibles en un temps record. Si trois années de vivres sont emmagasinées dans les cales des navires, les membres de l'Amirauté et une partie de l'équipage pensent qu'une seule année sera nécessaire pour accomplir l'aller, la cartographie des 500 km de côte manquants, et le retour en Angleterre. Une prouesse en perspective !

Les navires prennent la mer le 19 mai 1845, accompagnés de transporteurs qui les suivront jusqu'au Groenland. Dans la baie de Disko, dix boeufs emportés sur les navires de transport sont tués pour donner de la viande fraîche aux équipages avant leur longue expédition et cinq marins, jugés inaptes à la mission, sont débarqués.

Ce furent 129 hommes qui prirent la mer vers l'Arctique en août 1845.

Personnes ne les revit jamais.

Exploration Franklin : une mission maudite ?

Toutefois, si la mission d'exploration Franklin semble se préparer dans les meilleures conditions possibles, dans les faits, les choses sont plus... compliquées.

En 1843, lorsque Franklin revient de Tasmanie et apprend qu'une nouvelle expédition est prévue pour l'Arctique, il ne souhaite qu'une chose : repartir là-bas. Mais John Barrow, le responsable de l'expédition, âgé de 82 ans, ne souhaite pas nommer Franklin qu'il considère trop vieux et inadapté à l'envergure du projet.

John Barrow, wikipedia commons

Barrow envisage d'abord W. E. Parry pour cette expédition, qui refuse poliment : il a exploré l'Arctique à de nombreuses reprises et, à 53 ans, il ne souhaite plus affronter ses rigueurs.

William Edward Parry, Wikipedia common

Le vieil homme, se tourne ensuite vers J. C. Ross, âgé de 43 ans et revenant juste d'une mission de 4 ans en Antarctique où il a commandé avec succès l'Erebus et le Terror à travers le terrible océan Antarctique. Mais Ross a promis à sa femme ne plus repartir, il décline donc également la proposition.

James Clark Ross, Wikipedia Commons

Barrow refuse toujours d'envisager Franklin malgré son insistance. Il propose alors J. Fitzjames à l'Amirauté. Mais la Marine Royale ne peut envisager de confier une mission aussi importante à un jeune commandant d'à peine 30 ans n'ayant jamais navigué en Arctique.

James Fitzjames, wikipedia commons

Barrow envisage donc de proposer le commandant G. Back, vétéran de l'Arctique âgé de 47 ans, à l'Amirauté. Mais sa mauvaise santé ne lui permet plus de partir en expédition.

George Back, wikipedia commons

Le vieil homme commence à être à cours de noms et sent qu'il n'aura bientôt plus d'autre choix que de désigner Franklin à tête de l'expédition. D'autant plus que W.E. Parry a donné son soutien à Franklin et fait pression sur Barrow pour nommer l'ancien gouverneur de Van Diemens au commandement de l'Erebus et du Terror. Barrow envisage un dernier homme, le commandant Francis Crozier, très bon marin, vaillant explorateur de l'Arctique, très capable pour cette mission, il vient de passer quatre années avec Ross en Antarctique à la tête du Terror... Mais il est d'humble naissance et, de surcroît, d'origine irlandaise. Le vieillard ne peut se résoudre à donner le commandement de l'expédition à Crozier.

Francis Crozier, wikipedia commons

Ce n'est donc qu'à regrets et après deux années de luttes et de rejets que Barrow accepte de donner le mandat d'expédition à Sir John Franklin. Francis Crozier est tout de même de la partie, encore une fois à la tête du Terror et nommé officier exécutif. Enfin, Fitzjames est nommé à la tête de l'Erebus.

Les navires embarquent 134 hommes à bord. Sur ces 134 hommes, seuls quatre ont une expérience de l'Arctique : les commandants Franklin et Crozier, et les glaciologues Reid et Blanky. 

Lors des préparatifs de l'expédition, un problème de taille se présente assez rapidement : la commande de conserves n'est pas faite. Or la nourriture est indispensable à la bonne santé des équipages. Ce n'est que le 1er avril 1845, soit 1 mois et demi avant le départ de l'expédition, qu'un contrat est signé avec un marchand dont il a cassé les prix. Les cales des deux navires sont remplies avec ces conserves qui se révèleront soudées au plomb, avec des soudures de mauvaise qualité, non étanches. Les conséquences de cet élément malheureux ne se feront connaître que trop tard : presque toute la nourriture est contaminée, pourrie ou toxique. 

À cela, il faut ajouter que, malgré des machines à vapeur puissantes permettant en théorie de propulser les navires à 3 ou 4 noeuds en mer et supposées aider à repousser la glace de mer dérivante, elles se sont probablement révélées bien insuffisantes sur ces navires alourdis de plaques de métals et de poutres lourdes destinés à mieux résister à la glace de mer. De plus, le fuel nécessaire à les faire fonctionner ne pouvait être stocké qu'en quantité limitée. Et ces réserves de fuels étaient destinées à la fois aux propulseurs et au chauffage des navires. Dans un environnement où la température extérieure avoisine -40°C, ces réserves durent se révéler bien insuffisantes.

Est-il nécessaire d'ajouter que l'expédition étant sensément parée pour trois années de voyage, ce ne fut qu'en 1848, sous l'insistance de Lady Franklin, que la première mission de sauvetage britannique fut envoyée ?

Expédition Franklin : un désastre médical sans précédent

Ce n'est qu'à la fin de l'année 1847 que l'Amirauté commence à s'inquiéter. Entre 1848 et 1880, ce n'est pas moins de trente-six missions de sauvetage qui sont organisées à travers l'Arctique et les terres adjacentes pour tenter de retrouver les navires ou les membres d'équipages. Certaines de ces missions de sauvetages furent financées sur les fonds propres de Lady Franklin, en vain. 

Carte présentant les zones de recherche de l'expédition Franklin

Carte présentant les routes suivies par les missions de recherche de l'expédition Franklin entre 1848 et 1854 (source : Royal Museum Greenwich)

Les recherches ont perduré jusqu'à nos jours et de nombreux éléments nous sont parvenus, notamment dans les années 1980-1998, nous permettant d'émettre des hypothèses plausibles sur ce qui a pu arriver à ces hommes.

Les conditions climatiques épouvantables et la glace de mer dérivante, ne fondant que très peu durant le court été boréal, ont dû rendre la navigation de l'Erebus et du particulièrement difficile, voire impossible. Après avoir essayé de naviguer autour de l'île Cornwallis, les navires ont dû s'amarrer sur l'île Beechey pour hiverner en 1845-1846, dans la partie sud-ouest de l'île Devon.

Tôt en 1846, trois membres d'équipage moururent et furent enterrés là. Leurs tombes, bien préparées et avec des pierres tombales, ont été trouvées en août 1850 par des chercheurs de la Marine Royale et par des bateaux américains. La proposition d'un chirurgien de les déterrer pour faire une autopsie fut refusée. 

Durant l'hiver 1846-1847, les navires se sont probablement retrouvés bloqués dans les glaces à l'ouest de l'île Somerset et de la pénisule de Boothia. Le 11 juin 1847, Sir John Franklin, âgé de 61 ans, succombent à bord du HMS Erebus. Le chirurgien de bord n'a pas fait d'autopsie et la tombe de Franklin ne fut jamais retrouvée, probablement parce qu'elle a été faite dans la glace.

À partir de ce moment-là, le capitaine Crozier a dû prendre le commandement de l'expédition. Les courants de surface et le vent dominant poussent les deux navires vers le sud. Au cours de l'hiver 1847-1848, neuf officiers et quinze hommes sont tombés malades et sont morts. Dans le sillage de l'île du Roi William et toujours piégé dans la glace, Crozier prend la décision d'abandonner les navires le vendredi 22 avril 1848. Cette décision n'a peut-être pas tant été prise par la manque de nourriture que par l'état de santé de ses hommes.

Ils ont perdu beaucoup de poids et sont faibles. Certains ont les gencives qui saignent et perdent leurs dents, des ecchymoses et des hématomes sous-cutanés, ils présentent une pâleur inquiétante et ont le souffle court - autant d'éléments qui suggèrent le scorbut.

Crozier a probablement prévu de continuer à terre vers le sud de l'île du Roi William et ensuite de traverser l'embouchure de la rivière Great Fish sur le continent. Là, il espère probablement trouver de l'aide à un camp de l'Hudson Bay Company. Ils portent avec eux les canots de sauvetage. Crozier et ses hommes progressent le long de la côte ouest de l'île du Roi William, voyageant sur de la glace gelée le long du rivage parce que cela rend le passage plus doux que sur la terre.

Même ainsi, ils ne parviennent pas à couvrir plus de 2 km à 2,5 km par jour. Pas un seul homme ne survécut à ce voyage alors que, pourtant, certains ont atteint le continent. Les corps de trente hommes ont été trouvés proches de la rivière Great Fish. Une vieille Eskimo expliqua, plus tard, comment elle avait vu les hommes malades tomber les uns après les autres tandis qu'ils marchaient sur la glace.

Des expéditions de recherche furent menées entre 1981 et 1986 par le Dr Owen Beattie, un anthropologiste de l'université d'Alberta. Ses résultats ont permis d'expliquer certaines choses qui se sont probablement produites.

Les résultats de l'étude d'Owen Beattie

En 1981, une expédition a trouvé de nombreux restes de squelettes, certains Eskimo et d'autres des membres d'équipage de l'expédition Franklin. Les os ont été analysés et ont révélé des preuves de scorbut, mais aussi des taux de plomb cent fois supérieurs à celui des Eskimos (228 ppm dans les squelettes de l'équipage pour 22 à 36 ppm dans les squelettes des Eskimos).

En 1984, Beattie obtint l'autorisation d'exhumer et d'autopsier les corps des trois membres d'équipages enterrés en 1846. Le premier corps, celui de John Torrington, âgé de 20 ans, fut particulièrement difficile à extraire du sol gelé, mais son état de préservation, après 138 ans sous terre dans la glace, était fabuleusement exceptionnel. Son poids a été estimé à 40 kg, lui donnant un indice de masse corporelle (IMC) de 15 (contre 20 à 25 pour une personne en bonne santé). Cet état de maigreur implique que le jeune marin a dû perdre du poids entre le moment de leur départ d'Angleterre et le moment de sa mort quelques mois plus tard.

Il avait pour métier "soutier", mais ses mains indemnes (ni cales ni coupures) au moment de sa mort témoignent qu'il avait cessé de travailler plusieurs semaines au moins avant sa mort, probablement parce qu'il était trop malade. Ses poumons ont montré des signes d'emphysème, d'adhésions pleurales, d'anthracosis (ulcère du poumon dû aux poussières de charbon) et de turberculose. La mort du jeune Torrington est attribuée à une pneumonie.

L'analyse de ses os a montré un niveau de plomb de 110 à 151 ppm, tandis que celle de ses cheveux atteignait 600 ppm, allant diminuant vers la racine. Cela peut indiquer que la contamination au plomb allait diminuant dans les dernières semaines de sa vie, alors qu'il était très sérieusement malade.

En 1986, Beattie exhuma John Hartnell, un officier du HMS Erebus, mort à l'âge de 25 ans le 4 janvier 1846. Lorsque le corps a été déshabillé, il a été clair qu'il avait été autospié une première fois, probablement par le Dr Goodsir sur l'I, l'assistant chirurgien. L'IMC de Hartnell était seulement de 14. Il est décédé d'une tuberculose pulmonaire.

L'exhumation de William Baine, de la Marine Royale, âgé de 32 ans et mort le 3 avril 1846, a suivie. Baine était également émacié, pesant moins de 40 kg. Son corps était couvert de nombreuses traces de dents, suggèrant que des rats avaient probablement essayé de le grignoter alors qu'il se trouvait encore sur l'Erebus. Ses poumons ont montré des traces de tuberculose sans pour autant que les cultures n'aient donné de bacille. Les cheveux de Baine contenaient entre 145 et 280 ppm de plomb.

Il semble que la dernière expédition de Franklin ait été consummée par plusieurs maladies différente :

  • La tuberculose : cette maladie était très présente au XIXe siècle et les conditions sur l'Erebus et le Terror ont dû permettre son extension à l'équipage.
  • Le scorbut : cette maladie a été identifiée en 1754 et le premier article sur le sujet est paru en 1757. Dès 1795, la Marine Royale a adopté les bons gestes pour maintenir les marins en bonne santé sur les navires et depuis lors, le scorbut était réputé pour avoir disparu. Mais alors pourquoi l'équipage de la dernière mission de Franklin semble-t-il en avoir souffert ? D'autant que chaque membre d'équipage recevait une once de jus de citron chaque jour ?! La réponse se trouve plausiblement dans la durée de vie de l'acide ascorbique, si nécessaire à l'élimination du scorbut. Il est possible que le jus de citron ait commencé à fermenter et soit devenu inutile à prévenir cette maladie.
  • Le saturnisme : les concentration en plomb rencontrées dans les os et les cheveux des membres d'équipage de l'expédition Franklin indiquent clairement une contamination atteignant pour certains des niveaux mortels. Cette contamination est très sûrement due aux conserves mal soudées au plomb. La technologie permettant de faire des conserves de nourriture était relativement nouvelle, les soudures, en plus d'être imparfaites, dégoulinant le long des parois intérieures des conserves, ont été réalisées avec un mauvais aliage trop riche en plomb. La nourriture a ainsi dû être contaminée très rapidement.
    Le saturnisme induit a dû provoquer une anorexie, de la fatigue, des faiblesses neurologiques, des coliques intestinales, des manifestations psychologiques telles que l'anxiété et la paranoïa.
  • Le botulisme : une autre hypothèse est qu'en plus de la contamination au plomb, les conserves mal fermées ont probablement été contaminé par la bactérie Clostridium botulinum, provoquant du botulisme. 

Références bibliographiques

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