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Synthèse de la conférence

Niveau de difficulté : 1

Bonjour à toutes et à tous et Bienvenue pour cette nouvelle vidéo de Terres du Passé !

Peu avant Noël 2023, j'ai eu le plaisir de vous partager toute une conférence sur la Crise de Salinité Messinienne : un épisode très particulier de l'histoire de la Méditerranée durant lequel cette mer que nous connaissons bien, ne serait-ce que pour ses teintes turquoises et myosotis, s'est retrouvée isolée de l'océan Atlantique. Un isolement qui a induit un assèchement global de cette mer durant plusieurs centaines de milliers d'années, amenant à l'accumulation de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur de sels dans le fond marin.

Cette conférence est absolument fabuleuse et les intervenants, des chercheurs spécialisés sur la question, ont su nous expliquer les détails de cet événement de façon claire et précise. Je ne saurais trop vous conseiller d'aller la voir, vous trouverez le lien en descrition !
Malheureusement, comme le savent déjà ceux qui suivent la chaîne et/ou qui ont déjà vu cette conférence, il n'y avait pas d'ingénieur du son présent et je n'avais pas le matériel nécessaire à une bonne captation sonore des intervenants. Donc, même si j'ai essayé d'en tirer la meilleure qualité possible, le micro était relativement loin et il est parfois difficile de bien entendre ce que disent les cinq chercheurs qui nous ont présentés cette crise.

Alors ni une, ni deux, nous voici lancés, chers amis, pour un petit retour sur cette conférence passionnante !

Ah, ça c'est une bonne idée ! Parce que c'est vrai que j'ai parfois été un peu déçue de ne pas réussir à bien comprendre tout ce qu'ils disaient.

Oui, tu n'es pas la seule, j'ai eu quelques retours sur ce point...

Et du coup, si tu dois refilmer une conférence, ce sera d'aussi bonne qualité sonore ou bien...

Je me suis procurée un peu matériel supplémentaire qui devrait pallier toute absence d'ingé son à l'avenir.

Ouais, bonne idée. Dis, juste avant de continuer ton histoire sur le Messinien... Pourquoi ? Nan, parce que, c'est intéressant, on est d'accord. Mais pourquoi, d'un seul coup, tu te mets à nous balancer vingt vidéos sur le Messinien, la Méditerranée, tout ces trucs-là ?

Ah, c'est une bonne question, d'autant qu'elle m'a été posé un certain nombre de fois.

Ouais, je sais.

Bien, répondre à cette première question est une bonne façon de commencer cette histoire ! Tout part du Docteur Emmanuelle Ducassou, enseignante-chercheuse à l'Université de Bordeaux et au laboratoire EPOC pour Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux.

Comme le Docteur Frédérique Eynaud, qui nous parle d'Iconopastt et de la côte médocaine ? Ou le Docteur Bruno Malaizé, qui nous parle de l'île de Pâques, de son climat et de l'effondrement de sa population ?

Pas de hors sujet, le thème du Messinien est déjà bien assez riche comme ça ! Et puis, la série documentaire sur l'île de Pâques n'est pas encore sortie ! Mais oui, ce sont tous des chercheurs et des chercheuses du laboratoire EPOC, tout comme Adrien Eude, Athina Tzevahirtzian, Hervé Gillet et Laurent Londeix qui ont participé et co-organisé cette conférence avec Emmanuelle Ducassou.

Hein-hein...

Donc ! Emmanuelle Ducassou, sédimentologue à EPOC, est co-cheffe d'une expédition de recherche océanographique internationale qui se déroule actuellement dans la zone du détroit de Gibraltar : l'expédition IODP 401.

IODP 401 ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

IODP signifie International Ocean Discovery Program. Et 401, c'est simplement pour indiquer qu'il s'agit de la 401ème expédition océanographique du programme de recherche.

Ah ouais ! C'est ce que nous expliquait le Docteur Ducassou au début de la conférence !

Oui, c'est tout à fait ça !
[Extrait de l'intervention d'Emmanuelle Ducassou #001 > 02:17 - 02:56 = [...] des nations s'unissent à la fois d'un point de vue humain et d'un point de vue finances on va dire, pour pouvoir avoir accès à ce type de technologie. Donc, c'est ce que fait le programme IODP pour International Ocean Discovery Program. Alors c'est un programme qui existe depuis plus longtemps, qu’a eu différents noms. Il existe depuis 1968 et je tiens à souligner ici que c'est le programme, le plus grand programme, en fait, de géologie marine, c'est-à-dire quand je dis le plus grand, c'est le plus grand en termes humains, en termes de coûts humains et de coûts financiers. Donc il permet d'avoir accès à ça. Et puis, c'est aussi la coopération internationale la plus pérenne qui existe. Donc ça, c'est chouette. C'est un peu l'équivalent de certains programmes spatiaux, un peu moins médiatisés, mais c'est l'équivalent.]

Et associé à ce programme de recherche en mer, il y a un programme de recherche à terre qui a été créé, l'ICDP pour International Continental Discovery Program.

Un programme à terre ? Mais pour quoi faire ?

Eh bien pour compléter les données marines ! Justement, Emmanuelle en parle un peu plus en détails après.

[Regard septique] Bon, et du coup, il sert à quoi ce programme 401 ?

L'expédition 401 ! L'expédition de recherche 401 vise à étudier plus en détails les conditions climatiques et environnementales qui sont associées à cet événement unique, avant, pendant et après, qui semble ne s'être produit nulle part ailleurs sur Terre dans son histoire récente !

Son histoire récente ? Attends, je commence à vous connaître, vous autres les géologues ! Quand vous dites que c'est "récent", ça peut avoir 1 000 ou 2 000 ans ! Alors qu'est-ce que ça veut dire, ton histoire "récente", hein ?

Ah ah ! En effet, tu as raison... Enfin presque ! 1 000 ans ou 2 000 ans, c'est plutôt pour les historiens [Nota Bene]. Les archéologues remontent à quelques milliers d'années, voire dizaines de milliers d'années ou un peu plus [MNHM], et nous on va plutôt avoir tendance à parler de ce qu'il s'est passé il y a quelques dizaines de milliers d'années à plusieurs centaines de millions d'années [Simplex Paleo]. Ou plus bien sûr, mais ce qu'on qualifie de "récent", globalement, ça a moins de 20 millions d'années. En gros. Ça dépend du contexte en fait !

20 millions d'années... Donc pas d'autre crise de salinité comme celle-là dans les temps récents, soit depuis au moins 20 millions d'années...

À part celle dont on parle ! Qui s'est produite il y a 5-6 millions d'années environ.

Je savais qu'il y avait un piège ! Bon, et du coup, qu'est-ce qu'ils vont faire pendant cette expédition ? Des mesures de salinité de la mer, de température de l'eau, des trucs comme ça ?

Alors oui, on en fait à chaque mission océanographique, mais ça se fait par l'intermédiaire de sondes SIPPICAN XBT qu'on envoie dans l'eau pendant le trajet, sans avoir besoin de s'arrêter : on prend la position GPS, on envoie la sonde qui prend de mesures de température à plusieurs niveaux de profondeurs, et on rentre ça dans la base de données marines. Mais, même si ces mesures sont réalisées en chemin, ce n'est pas le but de cette mission en particulier, ou au moins pour la partie de l'équipe d'Emmanuelle Ducassou, qui va se concentrer sur le forage !

Le forage... Tu veux dire comme Harry Stamper dans Armageddon ? [Extraits du film]

Oui, c'est ça... Mais depuis un bateau, pas depuis une plateforme pétrolière, ni sur un astéroïde dans l'espace. D'ailleurs, Emmanuelle nous en parle assez bien dans sa conférence :
[Extrait de l'intervention d'Emmanuelle Ducassou #010 > 07:28 - 07:54 = [...] Alors pour faire ça, on embarque sur un navire qui s'appelle le Joides Resolution. Il fait 143 mètres long. Il a un derrick de 62 mètres, alors il peut forer à plus de 8 000 mètres de profondeur. On a à peu près une centaine de personnes à bord dont 28 scientifiques faire ce travail là. On travaille 24h/24, 7 jours/7, pendant 61 jours d'expédition, et selon des quarts de 12h]

 Mais attends, tu as vu ? On dirait que le truc de forage...

Le derrick.

Ouais c'est ça, la structure de métal qui permet de faire le trou avec le tube et tout ça... On dirait que c'est sur le bateau ! Mais un bateau, ça peut pas avoir un trou, sinon ça coule ! [Extrait Obélix et Astérix Mission Cléopâtre].

Pas toujours ! Regarde dans Peur Bleue, ils ont toute une piscine ouverte sous le bateau ! [Extrait Peur Bleue].

Nan mais c'est un film !

Eh bien, écoute Emmanuelle Ducassou nous en parler !
[Extrait de l'intervention d'Emmanuelle Ducassou #010 > 07:54 - 08:25 = [...] C'est un bateau de forage. Donc ça veut dire que sous le derrick, il y a un trou. Il y a un trou dans la coque, c'est pas très commun. Donc vous avez le multitube ici qui descend, là-dedans, ici, vous êtes sur le pont de forage, donc juste au-dessus. Donc là vous voyez le tube, c’est là où le tube va avancer mètre par mètre. C'est aussi là qu’on vient changer les trépans, c’est-à-dire les têtes de forage. Vous avez ici les différentes têtes de forage en fonction de la dureté du sédiment. Il faut bien en changer parce qu’en effet, c’est de la roche, littéralement, pour voir ce qu'on va récupérer là.]

Purée de nom d'une patate vitelotte flambée au calva du pépé ! Mais comment ça marche ? Comment le bateau peut rester en surface sans couler ?

Eh bien, à la fois, c'est simple et c'est compliqué. C'est de la physique : tu connais la poussée d'Archimède ?

Ouais, c'est ce truc qui fait que quand on est dans l'eau, comme un corps humain est moins dense que l'eau, ben, l'eau nous porte. Et genre, plus c'est salé, plus ça nous porte. Comme dans la mer morte où il est presque impossible de nager vers le fond [extrait de documentaire]. Un truc comme ça.

Dans l'idée, c'est ça ! En fait, l'eau exerce une pression sur les objets qui s'immerge dedans. La pression n'est pas égale partout : plus en profondeur, elle est plus forte que vers la surface. Les pressions latérales s'annulent et il ne reste donc que la pression de surface et de fond. Or, comme la pression est plus grande en bas qu'en haut, cela entraîne une flottaison de l'objet immergé. Le bateau, lorsqu'il est sur l'eau, doit voir sa masse suffisamment bien répartie pour rester moins lourd que l'eau sur laquelle il navigue, moins dense : la pression de l'eau le repousse vers le haut, c'est la poussée d'Archimède, et le bateau flotte, une partie étant immergée et une autre étant émergée.

O.K., je comprends ça, je le savais déjà, en gros. Mais si tu as trou, l'eau elle va remplir le bateau et il va couler ! Tout le monde sait ça !

Et c'est là qu'il faut comprendre comment est conçu un navire de forage. Prend un verre d'eau et une paille. Tu remplis le verre d'eau à moitié, tu mets un doigt sur un des trous de la paille et tu immerges l'autre dans le verre. En bouchant le trou de la paille, tu bloques une certaine quantité d'air dedans et donc quand tu immerges la paille dans l'eau, cet air ne peut pas s'échapper, puisqu'il y a ton doigt ! L'air dans la paille crée une pression qui fait que l'eau reste en bas. C'est ce qu'il se passe dans le bateau de Peur Bleue : ils ont une salle pressurisée : l'air de la pièce appuie sur l'eau qui ne rentre pas dans le bateau. Mais du coup, cette pièce n'est pas en contact avec l'extérieur, elle est fermée. Comme ta paille sur laquelle il y a ton doigt.

Par contre, si tu retires ton doigt et que tu laisses donc l'air de la paille s'équilibrer avec l'air extérieur, pop ! Le niveau de l'eau dans la paille monte instantanément jusqu'à l'équilibre avec la pression de l'air à l'extérieur, donc la pression atmosphérique. Sous le derrick du Joides Resolution, c'est ce qu'il se passe : la paille, le trou qui permet au tube de forage de descendre, est en contact avec l'air extérieur, donc avec l'atmosphère. Le niveau de l'eau dans le tube est donc le même que celui qu'il y a sur les bords du bateau : au niveau de la ligne de flottaison.

D'accord. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi le bateau ne coule pas avec ce gros trou dans la coque.

Eh bien parce que le trou ne donne pas sur une salle ! Le trou n'est qu'un tube, comme la paille ! Si quelqu'un dans une pièce se trouvant sous la ligne de flottaison ouvrait une trappe donnant sur le trou du Joides, alors l'eau s'engouffrerait dans la salle, ce qui augmenterait le poids du bateau et donc le ferait couler peu à peu. C'est ce qu'il s'est passé pour le Titanic : un trou dans la coque a rempli les cales du navires, augmentant sa masse à mesure que les cales se remplissaient d'eau et donc le faisant plonger peu à peu dans les profondeurs jusqu'à ce qu'il sombre entièrement. [Extrait de Titanic]

 D'accord... Alors le Joides a une paille dans le navire...

Oui, exactement ! Un tube ouvert donnant sur l'eau !

Mais... Quand il y a une tempête, la ligne de flottaison, elle est instable ? Quand on voit les bateaux pris dans les tempêtes de la Mer du Nord, quand ils plongent dans les vagues, ils sont immergés en partie... [Extraits vidéos]. Du coup, le Joides Resolution devrait couler facilement durant les tempêtes...

Remarque très pertinente ! Mais non, il ne coule pas parce que durant les tempêtes, ils mettent le doigt sur le bout de la paille : ils ferment le trou ! Du coup, la pression de l'air ne change pas malgré les mouvements du bateau et l'eau ne peut pas s'engouffrer par là.

Eh ben... C'est un truc de fou quand même... Naviguer avec un trou dans le bateau... [Extrait "Ils sont fous ces romains"].

Oui, mais ça permet de faire bien des choses, comme le dit bien Emmanuelle justement :
[Extrait de l'intervention d'Emmanuelle Ducassou #001 > 01:24 - 01:54 = [...] Première chose, c'est pour l'outil qu'on va utiliser. Alors, en milieu marin, en général, on utilise le carottage marin, ce qui fonctionne assez bien. On peut collecter plusieurs dizaines de mètres de sédiments, jusqu’à 60 mètres. Mais ici, on va utiliser carrément du forage et le forage va permettre mécaniquement de descendre encore plus bas et donc de venir prélever ici les séries sédimentaires. En descendant, on peut traverser les colonnes d'eau également de plusieurs milliers de mètres. Donc on va descendre sur des périodes qui sont beaucoup plus anciennes et qui vont nous permettre de comprendre certaines choses.]

Attends mais j'ai un bug là... Pourquoi quand on descend plus bas, on voit des périodes plus anciennes ?

Ah oui, c'est lié à un principe géologique assez basique en fait : le principe de superposition. C'est tout simple : la couche la plus ancienne est la plus profonde ! On considère que ce qui s'est déposé en premier a été recouvert par des sédiments plus récents, etc. etc. Et donc plus on récupère des sédiments profonds dans la colonne sédimentaire, ou dans les roches, et plus on remonte loin dans le temps.

Ah ouais... C'est comme quand on regarde les étoiles et les galaxies ? Plus elles sont les loin, plus on remonte le temps !

Ouh là là ! Tu compares un peu des hamsters et des crocodiles là ! Le principe est quand même très différent : d'un côté, tu as les dépôts sédimentaires qui s'accumulent : donc des sables, des argiles, des galets, mais aussi des restes d'organismes et de micro-organismes, des cendres, des pollens, bref, plein de choses qui s'entassent au fond de la mer et donc plus ils sont profonds, enfouis sous tout le reste, plus ils sont anciens. O.K. Et de l'autre, tu as le phénomène de distance et de vitesse de la lumière qui entre en jeu : les galaxies les plus lointaines nous permettent de remonter le temps parce que la lumière met un certain temps à nous parvenir. Par exemple, la galaxie roue de chariot, Cartwheel Galaxy en anglais, se trouve à 500 millions d'années lumière de distance, environ. Ce qui signifie qu'il faut à la lumière de cette galaxie 500 millions d'années pour nous parvenir. Donc quand on la regarde aujourd'hui avec un téléscope, on regarde la galaxie comme elle était il y a 500 millions d'années !

Ah... ouais, c'est différent. Mais quand même.... Plus c'est loin, plus c'est vieux, plus c'est profond, plus c'est vieux !

Euh... encore une fois, je ne peux pas te dire que tu as raison... Dans l'espace, plus c'est loin, plus on regarde dans le passé et donc en fait, plus c'est jeune... C'est pour ça qu'on pense que si on regarde suffisamment loin dans l'espace, on peut arriver à voir les tous premiers instants de notre Univers....

Ouais mais quand tu regardes des sédiments super profonds, donc super anciens, en fait, c'est quand la Terre était plus jeune ? Donc ça reviendrait-y pas au même ? Genre si tu regardes suffisamment profond dans la Terre, tu retrouves l'histoire de ses origines, comme dans l'espace ?

... Intéressante façon de voir, mais pas vraiment. Pour plusieurs raisons. Premier point : imagine que sois un extra-terrestre qui vit dans la galaxie de la Roue de Charriot aujourd'hui, d'accord ? Tu prends un téléscope super puissant et tu regardes la Voie Lactée. Là, ton téléscope est tellement puissant qu'il te permet de voir le Système solaire, et même de voir la planète Terre. Mais pas seulement en mode de couleurs d'émissions de rayonnement : ton téléscope est tellement surpuissant que tu peux regarder à travers l'atmosphère ce qu'il se passe sur Terre et même dans la mer ! Eh bien, cet extraterrestre, toi, vivant aujourd'hui et regardant la Terre depuis la galaxie de la Roue de Charriot à 500 millions d'années lumières, tu verrais les trilobites vivre et proliférer au fond de la mer, bien vivant, actifs, avec plein d'autres organismes marins qui vivaient à l'Ordovicien. Est-ce que tu vois la différence ?

Euh... Tu veux dire que s'il y avait un extraterrestre en train de nous regarder depuis la Roue de Charriot, il verrait la Terre comme elle était il y a 500 millions d'années ? Et donc, en toute logique, les aliens de là-bas ne pourront voir les êtres humains que nous sommes aujourd'hui que... dans 500 millions d'années ?

Voilà, c'est ça ! Tu as tout compris ! Alors que quand on regarde les roches les plus anciennes, on ne voit que des restes fossilisés, des traces de vie d'autrefois. On n'a pas une vision directe de ce qu'était la vie, l'environnement, le climat. On reconstitue tout ça avec des outils, des analyses, typiquement ce qu'est en train de faire l'équipe de chercheurs et scientifiques sur le Joides actuellement.

O.K., je commence à saisir la nuance.

Et puis, ajoutons qu'au-delà de de la croûte, tout le signal sédimentaire, qui nous raconte la vie, l'environnement et le climat sur Terre, est perdu, donc même si on était capable de creuser jusqu'au noyau de la Terre, ce qui n'est pas du tout le cas pour plein de raisons, dès qu'on dépasse la croûte, on passe dans des roches du manteau et on ne peut plus raconter comment était la surface aux différentes époques.

Ah bon. Ouais, donc en fait c'est quand même assez différent l'astrophysique et la géologie...

Oui, quand même. Les deux peuvent se compléter et fonctionner ensemble, comme par exemple pour étudier Mars ou la Lune, ou même des corps plus lointains. Mais ça reste deux disciplines assez différentes.
On est totalement parties à la dérive là, revenons donc à nos forages qui nous permettent de remonter sur quelques millions d'années dans l'histoire sédimentaire de la zone de Gibraltar pour comprendre ce qu'il s'est passé au moment de cette crise de salinité messinienne.

Ouais, désolée. J'ai toujours plein de questions tu sais !

Oui, oui, pas de souci, c'était intéressant ! Donc, tout part du Docteur Emmanuelle Ducassou, co-cheffe de l'expédition 401, qui a décidé d'organiser une conférence pour mettre en avant le travail des chercheurs en mer et de cette mission océanographique internationale à cheval sur 2023 et 2024. On est sur une mission de grande ampleur, avec des scientifiques de toutes les origines et de nombreuses disciplines, réunis pour essayer de comprendre tous ensemble un peu mieux cette histoire extraordinaire ! 

O.K. ! Donc l'expédition 401 est en cours actuellement ?

Au moment de la parution de cette vidéo, oui. Elle se termine le 11 février 2024.

D'accord. Et donc, on la connait déjà un peu cette histoire ? C'est pour nous la raconter en partie, justement, qu'ils sont venus nous en parler ces cinq chercheurs, non ?

Absolument ! Alors on reprend le fil ?

Aller, c'est parti ! Et envoi du lourds ! [Effet musique techno, mouvements d'écran, etc...]

Eh eh eh...
Bon, alors commençons en envoyant du lourds, comme tu dis !

Carte de 1973 du bassin méditerranéen asséché, Hsü et al., 1973

 Hum. C'est joli, y'a pas de doute, une belle peinture. Mais... Qu'est-ce qu'on est censé voir ? 

La Méditerranée !

Hein ?

Tien, regarde... ça, c'est la Méditerranée aujourd'hui. Et ça, c'est la reconstitution du bassin méditerranéen asséché, produite en 1973 colorisée, 1970 en noir et blanc, qui montre que durant un étage géologique que l'on appelle le Messinien, la mer Méditerranée n'était qu'un ensemble de lacs ultra-salés !

Mais c'est un truc de fou ! Comment on sait ça ? Comment on a pu en arriver à supposer un truc pareil ?

Eh bien, Emmanuelle nous a exempliqué ça à la fin de sa première intervention. On écoute ?
[Extrait de l'intervention d'Emmanuelle Ducassou #001 > 05:01 - 01:54 = [...] Première chose, c'est pour l'outil qu'on va utiliser. Alors, en milieu marin, en général, on utilise le carottage marin, ce qui fonctionne assez bien. On peut collecter plusieurs dizaines de mètres de sédiments, jusqu’à 60 mètres. Mais ici, on va utiliser carrément du forage et le forage va permettre mécaniquement de descendre encore plus bas et donc de venir prélever ici les séries sédimentaires. En descendant, on peut traverser les colonnes d'eau également de plusieurs milliers de mètres. Donc on va descendre sur des périodes qui sont beaucoup plus anciennes et qui vont nous permettre de comprendre certaines choses.]